Archives de
Tag: Front des mères

Dans le numéro 33 : « Rue du Passage » un conte de mémoire et de luttes

Dans le numéro 33 : « Rue du Passage » un conte de mémoire et de luttes

 

Militante révolutionnaire, féministe, écologiste et antiraciste, Fatima Ouassak consacre ses engagements aux quartiers populaires et surtout à sa jeunesse. Elle est à l’initiative d’un syndicat de parents, le Front des mères, qui lutte pour l’égalité et la fin des discriminations au sein de l’école. Elle est aussi co-fondatrice du premier lieu consacré à l’écologie populaire, Verdragon, maison de l’écologie populaire dans le 93.

Dans ses précédents essais, en particulier Pour une écologie pirate, elle mêlait déjà analyse politique et écriture de fiction. En 2024, sans mettre un terme à ses nombreuses contributions militantes, elle franchit le pas et publie Rue du Passage, qui se présente comme un conte. Comme il est souvent de mise dans cette forme littéraire, le titre est déjà en lui-même un condensé métaphorique du contenu du récit.

Le prologue se conclut ainsi « L’enfant s’appelle Salima. Elle habite rue du Passage ». S’en suivront 10 chapitres, situés entre juin 1983 et juin 1988, tous centrés sur le quartier où grandit Salima afin de « percer le secret de ces métiers qui ne sont pas connus, pas répertoriés, ces métiers précieux que peu se sont donné la peine de regarder avec autant de joie, d’amour et de fierté. »

Salima est à la recherche de son ange gardien, pour lui permettre de vivre, de survivre, dans une société qui n’a pas été conçue pour elle et les sien·nes… Débute alors une quête de figure tutélaire pour apprendre à grandir et affronter le monde… Mais vers qui se tourner ?

Cet ange gardien, se demande Salima, serait-ce le « Passeur de cassettes » qui permet une correspondance vocale entre les deux rives de la Méditerranée ? Ou la mystérieuse « Doseuse d’épices », celle qui garde jalousement la magie de ses secrets pour sublimer les plats de fête ? Ne serait-ce pas l’ouvrier de l’usine automobile, où travaillent tous les pères du quartier, et qui, déguisé en Père Noël, veut transmettre aux futures générations le goût de la lutte des classes ? Ne serait-ce finalement pas la maman qui accompagne en lui serrant la main – trop fort parfois – sa petite Salima sur le chemin de l’école ou bien encore l’oncle arrivé clandestinement en France, « Sans-papier du papier peint » ? Sans oublier la communauté des OS, la force de leur collectif… D’autres figures sont plus inquiétantes – tel le « Profespion » – ou plus sulfureuses, comme la « Caftanière ». Elles n’en sont pas moins captivantes et inspirantes…

Mais, entre tous ses anges gardiens, lequel choisir ? Lequel est celui de Salima ? L’admiration et l’identification sont un des chemins vers l’émancipation, mais quel est le véritable secret de la rue du Passage que Salima a tant de fois parcourue de long en large, des caves où chante le rossignol aux combles où la Caftanière a installé son atelier, en passant par le terrain de jeu que les habitant·es ont fini par imposer à la mairie après un acte de résistance collective ?

Ce récit, de résistances et de solidarités, nous est conté par le lion, celui du proverbe, que le chasseur doit empêcher de raconter son histoire1. Mais, cette fois-ci, le chasseur arrive trop tard, le lion rugit.

En chemin, Salima réalise que la rue du Passage n’a jamais de fin. Mais, nous avertit l’épilogue, « L’enfant est armée. Maintenant, le monde. »

Grégory Chambat

1« Tant que les lions n’auront pas leurs propres histoires, les histoires de chasse ne peuvent que chanter la gloire du chasseur. »